AUX FEMMES
Je parais, tiède encor du bain,
Devant toi, Public souverain !
Et si je n’ai pas mis de masque,
Comme la baronne fantasque
Que Gervex nous fit voir en peau,
Dans son trop tapageur tableau,
C’est que, n’ayant pas une tare,
Ma beauté me vêt et me pare.
Des boucles brunes de mon front
Jusqu’à la pointe des petons,
Je suis bien en chair, et nature !
Lorsque Bac, qui me portraiture,
Me croquera l’autre côté,
Vous verrez comme c’est planté,
Quelles lignes pures, parfaites,
Et quelle paire de fossettes !…
Mais ne parlons pas de l’envers ;
L’endroit seul convient à ces vers.
Ma gorge, qui jamais ne bouge,
Est d’ivoire, quoique un sang rouge
Y ruisselle, — ces fraises-ci
Le prouvent assez, Dieu merci !
Cette taille, ces flancs, ces hanches,
Ont des rondeurs fermes et blanches
Que nul corset, au busc cruel,
N’effleura de son fer mortel.
Cherchez, découvrez une ride,
Sur ce ventre jeune et solide…
Pourtant, deux mignons garçonnets,
— Beaux anges roses que j’ai faits —
M’appellent doucement leur mère !
À cet aveu, dont je suis fière,
Je ne veux ajouter qu’un mot :
« Si la fraîcheur reste mon lot ;
» Si de la tête aux pieds, personne,
» Même vous, docteur — ne me donne
» Les trente ans que j’aurai demain ;
» Si le frais pinceau de Chaplain
» Semble m’avoir, en ses caresses,
» Faite l’égale des déesses,
» C’est que, chaque jour, dans cette eau,
» Je fais fondre un pain de Congo ! »
L. de Beaumont
Paru le 28 décembre 1889 dans La Vie Parisienne.
Notes :
« Offert par la « Vie Parisienne » à M. Victor Vaissier, le maître savonnier de Roubaix. »
[avec un dessin de Rougeron, Vignerot, SC]